CLAUDE MAKELELE, CE GÉANT
15 OCTOBRE 2012 FAUTETACTIQUE 6 COMMENTAIRES
Plus que Zidane, Henry, Blanc ou Lizarazu, c’est Claude Makelele qui manquera cruellement aux Bleus ce mardi à Madrid. Du sang-froid et de la malice dans la conservation du ballon, de la précision dans la relance, un volume de jeu légendaire. Et surtout cette confiance absolue en son jeu et son rôle. Pour reprendre sa mythique réflexion sur le Brésil et Ronaldinho : « Iniesta, Xavi, Silva, machinchouette, rien à foutre ? ».
Un grand joueur prend sa retraite, et l’on passe vite à autre chose. Dans le monde du football, il est trop rare d’arrêter le temps pour dire les choses. Il faut du neuf, là, maintenant, ici. Des nouvelles actions, des nouveaux chocs, des nouveaux stades, des nouveaux maillots, des nouvelles couleurs, des nouveaux joueurs et même des nouvelles technologies. Parfois, il est donc bon de s’arrêter, et de se rappeler. Claude Makelele n’a pas gagné la Coupe du Monde au Stade de France en 1998. Et, oublié en Galice par Roger Lemerre, il n’était pas là à Rotterdam lorsque Trézeguet délivra les Bleus en 2000. Avec l’équipe de France, il n’a d’ailleurs rien gagné. En formant une paire fabuleuse avec Patrick Vieira en 2006, il a quelque part construit le trône éternel sur lequel est aujourd’hui assis Zinédine Zidane, ainsi que le tremplin qu’utilisa Franck Ribéry.
Un travail brillant, mais dans l’ombre, que nous n’aurons pas su apprécier, au vu des performances des Bleus depuis. Et pourtant… Une carrière de 950 matchs de 1990 à 2011, sur trois décennies. Nantes, avec le titre de 1995, l’OM, le Celta Vigo de Karpin, Salgado et Mostovoi, le Real Madrid, Chelsea et un beau retour en France avec le brassard du PSG. Les Canaris de 95, le Real des Galactiques, le Chelsea de Mourinho : Makelele aura fait partie de trois des plus grandes équipes des deux dernières décennies. On dit souvent que la carrière d’un joueur devrait être mesurée par le temps passé au très haut niveau. Détenir le record de huit demi-finales de Ligue des Champions, cela parle ?
Inventer une façon de jouer, cela vaut combien de titres internationaux ?
Une équipe de football est comme une armée qui part à la guerre. Il faut emmener des boucliers, mais en prendre le moins possible, et sélectionner les plus légers. Sur le terrain, il faut mettre de quoi protéger la défense, mais il ne faut pas que ce soit trop lourd, pour ne pas ralentir la marche de l’animation offensive. Dans cette perspective, le Makelele est peut-être le bouclier le plus performant et le plus léger jamais conçu. On en a fait une expression : « jouer à la Makelele », qui désigne le rôle du milieu défensif placé devant sa défense, qui doit ratisser, récupérer, conserver et relancer proprement. Un joueur infatigable, qui a fait de la course un talent, de l’harcèlement défensif un art et de la récupération une fin en soi. Une lecture du jeu instinctive, mais aussi une conservation de balle géniale, aidée par ce don pour positionner son corps entre celui de l’adversaire et le ballon. Comme une sangsue, comme un gant. Makelele est le joueur de football qui reprendrait le mieux le fameux surnom The Glove de Gary Payton. Ce fameux gant qu’enfile le meneur de jeu adverse au début du match, et qu’il se voit obligé de porter durant 90 minutes. N’oublions pas qu’à Chelsea, Claude était si bon qu’il avait fait jouer Essien et ses 40 millions d’euros de transfert au poste de latéral droit.
Un rôle qui est loin d’être à la mode dans le football barceloniste actuel, où la segmentation classique des rôles est devenue floue, où tous les joueurs doivent être ultra-complets, et enfin où jouer avec un « Makelele » est perçu comme un manque de courage. Makelele a fini par quitter le football du très très haut niveau en 2008, en partant de Chelsea. Par pure coïncidence, c’est à cette date que Guardiola est promu Mister et commence à changer le visage du football mondial. Makelele et ce Barça, une rencontre manquée ? Son successeur désigné en Bleu, Lassana Diarra, a fini par devenir son successeur au Real Madrid et première arme de Mourinho pour ralentir les accélérations de Messi. L’un de ses successeurs au Real Madrid, Esteban Cambiasso, a fini par être le premier à vaincre le grand Barça. Et son successeur « spirituel » en Premier League, Javier Mascherano, aura fini par rejoindre ce grand Barça et à oublier son rôle « à la Makelele » pour finalement entrer dans un conformisme regrettable. Le Mascherano de Liverpool, c’était un sacré joueur de football. Véritable monstre physique, cocktail formidable d’endurance, d’explosivité et de puissance, on peut se demander ce qu’aurait donné la rencontre de Makelele et du tiqui-taka.
Lorsque l’on mesure l’impact d’une individualité dans le football, on parle souvent du facteur collectif, de comment tel joueur parvient élever le niveau de ses coéquipiers. On cite Zidane en 2006, Maradona à Naples et avec l’Albiceleste en 1986 ou encore le contre-exemple Messi en 2010. Tous des joueurs offensifs, qui par leur création aident les autres à créer à leur tour. Et si Makelele était le meilleur – le tout meilleur – dans ce domaine ?
« Le meilleur joueur des Galactiques »
Après avoir loupé 1998, Claude s’envole pour Vigo, humilie Benfica 7-0, colle un 4-0 à la Juve et signe au grandissime Real Madrid. Sa mission ? Remplacer Fernando Redondo, c’est à dire ce qui se fait de plus classe à l’époque. Redondo et le Bernabéu ne faisaient qu’un, et Makelele débarque avec son numéro 24. Quand on pense que Lass a eu du mal à vivre avec le lobbying Granero… Mais une fois de plus, Maké répond sur le terrain. Et devient l’unique pièce qui permettra à l’équipe la plus fantaisiste de l’époque de devenir imaginable, possible, réelle, gagnante. Comment faire jouer ensemble Raul, Ronaldo, Zidane, Figo et Guti sans que cela ressemble à rien ? Claude Makelele.
En 2003, à 30 ans et après un nouveau titre de Liga, le Français demande à Florentino Pérez la moitié du salaire de Zidane. La moitié ! Le Président refuse. Et affirme, après le transfert à Chelsea : « Makelele ne va pas nous manquer. Sa technique est moyenne, il lui manque de la vitesse et du talent pour passer ses adversaires et 90% de sa distribution est en retrait ou latérale (…) Les jeunes joueurs qui arrivent feront oublier Makelele ». Makelele parti, le Real traverse quatre années blanches de titres et Florentino Pérez démissionne en février 2006. S’il fallait rétablir la vérité, il faudrait dire et répéter que Makelele était le joueur le plus important de cette équipe. Qu’il faisaitcette équipe. Qu’il la rendait possible. Son partenaire au milieu, Steve McManaman, en était bien conscient : « Claude a été le meilleur joueur de l’équipe depuis des années, mais les gens ne le remarquent pas, ne voient pas ce qu’il fait. Mais si tu demandes à n’importe qui au Real Madrid, il te dira qu’il était le meilleur. Nous le savions tous, les joueurs savaient tous qu’il était le plus important. (…) Il était la base, il était la clé. » Lorsque l’on évoque le Chelsea de Mourinho, on cite Drogba évidemment, Terry et Lampard bien sûr, ou encore Duff et Robben. Après la saison 2004-2005 du premier titre de Mourinho, c’est bien Makelele qui est élu joueur de l’année des Blues. Alors, un candidat pour le titre de meilleur milieu défensif de l’Histoire du football ?
A l’occasion de l’arrivée de Beckham et du départ de Makelele en 2003, Zidane s’était demandé « pourquoi rajouter une couche de peinture dorée sur ta Bentley alors que tu es en train de perdre tout le moteur ? ». Le moteur du jeu direct et flamboyant du Real Madrid des Galactiques, du Chelsea de Mourinho et de la France de 2006 était bien Makelele. Ce même jeu direct dont les Bleus devront s’inspirer demain à Madrid.
Markus